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L’Indochine et la Bibliothèque d’art et d’archéologie : l’origine du fonds photographique (III) – Léo Cordelle

Ce dernier billet porte sur le général Léon de Beylié (1848-1910), déjà mentionné pour ses photographies du Baphuon. C’est une figure importante pour les collections photographiques de la Bibliothèque d’art et d’archéologie consacrées à l’Indochine : Beylié est en effet derrière la plupart des tirages cambodgiens consultables aujourd’hui à la bibliothèque de l’INHA.

Ayant grandi dans une famille aristocratique où la tradition militaire et l’art sont intimement liés, il installe chez lui un atelier photographique dans lequel « il se livr[e] au délassement des reproductions artistiques[1] ». Initié à la photographie durant plusieurs périodes de convalescence causées par une blessure à la cuisse mal soignée[2], il expérimente lui‑même cette pratique lors d’un voyage en Inde du 17 février au 22 avril 1884[3].

Affecté au cours de sa carrière aux Antilles, à Madagascar ou encore en Algérie, le général Léon de Beylié se rend en Indochine à plusieurs reprises et à différentes étapes de l’installation française dans la région. Il débarque pour la première fois à Hanoï le 14 janvier 1884 alors que la conquête du Tonkin n’est pas terminée[4]. Il se bat notamment lors de la campagne de Lạng Sơn en 1885, qui se solde par un échec pour la France. C’est au cours de son affectation en Cochinchine entre 1903 et 1905 qu’il entreprend des fouilles archéologiques dans la province de Siem Reap (territoire non pas cambodgien, mais siamois à cette époque) et notamment à Angkor.

Bien qu’il ait rédigé des ouvrages sur l’architecture et l’archéologie khmère[5], la contribution la plus significative du général de Beylié aux recherches sur Angkor et l’art khmer est sans conteste la réalisation de campagnes photographiques visant à documenter l’intégralité des bas‑reliefs ornant certains temples. Par exemple, il « fait photographier, sous sa surveillance et à ses frais[6] » l’intégralité des bas‑reliefs des huit parties de la galerie de l’enceinte du premier étage d’Angkor Vat, sans oublier ceux présents dans chaque coin des pavillons d’angle nord‑ouest et sud‑ouest de cette même enceinte (Illustration 1). Le général de Beylié remet les 272 tirages produits (bien qu’il n’en compte que 236[7]) à l’Académie des Inscriptions et Belles‑Lettres en octobre 1909[8]. Cet ensemble rejoint les collections photographiques de la Bibliothèque d’art et d’archéologie et correspond aujourd’hui aux cartons I, 19, I, 20 et I, 21 Angkor Vat conservés à la bibliothèque de l’INHA[9].


Illustration 1 : Représentation des enfers dans la galerie sud du premier étage d’Angkor Vat.
Photothèque Archéologie Extrême-Orient I, 20, Angkor Vat.

En plus des bas‑reliefs d’Angkor Vat, Léon de Beylié réalise ou fait réaliser des tirages au Baphuon. L’archéologue Louis Finot (1864-1935), qui a été directeur de l’École française d’Extrême‑Orient à deux reprises[10], les montre aux membres de la Commission archéologique de l’Indochine lors de la séance du 23 juin 1910[11]. Il consacre également un article à ce sujet[12]. Dans ce dernier, on apprend qu’il s’agit d’un groupe de onze tirages avec « deux vues générales du monument, gopura obstrué par les décombres, une grande figure royale adossée à un pilier, enfin sept groupes de bas‑reliefs[13] ». Le carton « I, 23 Baphuon » conservé à l’INHA[14] contient certaines photographies répondant à ces signalements. Dans les six épreuves comportant la mention « cl. Gl. de Beylié », on retrouve deux vues d’ensemble du temple, une vue du gopura (soit la tour surmontant les portes des temples hindous) et trois groupes de bas‑reliefs (Illustration 2).

Illustration 2 : Bas‑relief du temple du Baphuon photographié par ou sous la commande de Léon de Beylié.
Photothèque Archéologie Extrême-Orient I, 23, Baphuon.

Enfin, le général de Beylié partage avec la Commission archéologique de l’Indochine 161 tirages du Banteay Chmar[15]. Ceux‑ci peuvent être séparés en deux groupes distincts : 83 tirages de bas‑reliefs « continus », représentant des compositions mesurant plusieurs mètres de long, situées sur l’enceinte extérieure, et 78 tirages de « frontons, frises et panneaux divers[16] », qui sont des bas‑reliefs plus petits. Le tirage numéroté 46 par Léon de Beylié (Illustration 3) montre ces deux types de bas‑reliefs : on aperçoit à droite une frise où quatre kinnaris (des musiciennes célestes au corps d’oiseau) alignées soulèvent un entablement. À gauche, on observe une petite scène sur le linteau avec un homme priant devant un être à au moins trois têtes, mais aussi un homme venant de tuer deux grues d’une même flèche. Les deux groupes de tirages présentés par Léon de Beylié à la Commission archéologique de l’Indochine en 1910 sont aussi dans les collections photographiques de la Bibliothèque d’art et d’archéologie. Ils forment aujourd’hui le contenu des cartons I, 24 et I, 25 Banteay Chmar[17].

Illustration 3 : Fronton à gauche où l’on aperçoit un homme chasser deux grues et une frise de kinnaris atlantes à droite. Photothèque Archéologie Extrême-Orient I, 24, Banteay Chmar.

C’est probablement suite aux échanges entre la Bibliothèque d’art et d’archéologie et la Commission archéologique de l’Indochine – évoqués dans le premier billet – que les photographies du général de Beylié ont rejoint les collections de la bibliothèque. Lors de la séance du 6 juin 1912, en réponse à l’offre de Jacques Doucet, la Commission propose en effet d’étudier les modalités d’un transfert des clichés envoyés à l’Académie des Inscriptions et Belles‑Lettres par Léon de Beylié de la Société Asiatique à la Bibliothèque d’art et d’archéologie[18].

Grâce à la comparaison du fonds photographique de la Bibliothèque d’art et d’archéologie avec celui d’autres institutions et au croisement de diverses sources, on peut conclure que l’origine des tirages indochinois présents dans les collections de la Bibliothèque d’art et d’archéologie est double. Les épreuves des temples tonkinois, des bas‑reliefs du Bayon et la plupart de celles du Baphuon proviennent de l’EFEO, tandis que les photographies des bas‑reliefs d’Angkor Vat, de Banteay Chmar et quelques-unes du Baphuon ont été produites par le général de Beylié ou un photographe payé par ce dernier.


[1] Henri Ferrand, Le Général Léon de Beylié, discours prononcé dans la séance du 29 juillet 1910, Grenoble, Allier Frères, 1911, p. 6.

[2] Ibid., p. 5.

[3] Guy Tosatto et Danielle Bal, Le général de Beylié 1849-1910 : collectionneur et mécène, cat. exp. (Musée de Grenoble, 3 juillet 2010 – 9 janvier 2011) Commissariat, Guy Tosatto et Danielle Bal. Milan, 5 Continents, 2010, p. 16.

[4] Ibid., p. 16.

[5] Léon de Beylié, Le palais d’Angkor Vat, ancienne résidence des rois khmers, Hanoï, F-H Schneider, imprimeur‑éditeur, 1904. Id., Les ruines d’Angkor, Paris, E. Leroux, 1909.

[6] Émile Senart, « Photographies de bas-reliefs d’Angkor Vat envoyées par le général de Beylié », Comptes rendus des séances de l’Académie des Inscriptions et Belles‑Lettres, 53-10 (1909), p. 758.

[7] Pour les représenter en intégralité, certains bas-reliefs dans les pavillons d’angle nécessitent deux voire trois photographies, mais elles sont rassemblées sous un seul numéro d’inventaire. Ceci explique que le général de Beylié ne comptabilise que 236 tirages.

[8] Commission archéologique de l’Indochine, compte-rendu de la séance du 21 octobre 1909, Bulletin de la Commission archéologique de l’Indochine, 1910, p. 8.

[9] BINHA, Photothèque Archéologie Extrême‑Orient, I, 19-21 [En ligne, URL : https://calames.abes.fr/pub/#details?id=Calames-20168101682644024].

[10] « Louis Finot », École française d’Extrême-Orient [En ligne, 24 février 2024 ; URL : https://www.efeo.fr/biographies/notices/finot.htm].

[11] Commission archéologique de l’Indochine, compte-rendu de la séance du 23 juin 1910, Bulletin de la Commission archéologique de l’Indochine, Impr. nationale, 1910, p. 146.

[12] Louis Finot, « Les bas-reliefs de Bapuon », Bulletin de la Commission archéologique de l’Indochine, 2 (1910), p. 155-161.

[13] Ibid., p. 155.

[14] BINHA, Photothèque Archéologie Extrême‑Orient, I, 23 [En ligne, URL : https://calames.abes.fr/pub/#details?id=Calames-2016713147422718].

[15] Commission archéologique de l’Indochine, compte-rendu de la séance du 10 mars 1910, Bulletin de la Commission archéologique de l’Indochine, 1910, p. 133.

[16] Commission archéologique de l’Indochine, compte-rendu de la séance du 12 janvier 1911, Bulletin de la Commission archéologique de l’Indochine, 1911, p. 9.

[17] BINHA, Photothèque Archéologie Extrême‑Orient, I, 24-25 [En ligne, URL : https://calames.abes.fr/pub/#details?id=Calames-20168101682644030].

[18] Commission archéologique de l’Indochine, compte-rendu de la séance du 6 juin 1912, Bulletin de la Commission archéologique de l’Indochine, 1912, p. 9.


Léo Cordelle est diplômé d’un master Histoire, civilisations, patrimoine à CY Cergy Paris Université. Il étudie le phénomène de la colonisation par le prisme de la photographie afin de suivre une approche de recherche patrimoniale. C’est sous l’impulsion de sa directrice de recherche Anne-Julie Etter qu’il s’est intéressé aux collections photographiques du fonds Extrême-Orient de l’ancienne Bibliothèque d’art et d’archéologie de Jacques Doucet. L’étude d’une partie du fonds photographique lui a offert l’opportunité de participer à un projet de recherche plus vaste et d’actualité : BAASIE, qui vise à explorer et valoriser un ensemble documentaire inédit sur les arts asiatiques. Par le sujet même des photographies sélectionnées, l’étude de ce fonds lui permet aussi d’apporter à ses recherches un lien direct avec l’archéologie, une discipline pour laquelle il éprouve un vif intérêt depuis le début de ses études universitaires et sa participation au chantier archéologique des Vaux-de-la-Celle à Genainville.

Ayant intégré le master Patrimoine et musées à l’université Paris 1 Panthéon Sorbonne, Léo Cordelle travaille à présent sur les expositions temporaires organisées au musée départemental Albert Kahn.


OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
L'équipe du carnet (29 avril 2025). L’Indochine et la Bibliothèque d’art et d’archéologie : l’origine du fonds photographique (III) – Léo Cordelle. Bibliothèque d'art et d'archéologie Jacques Doucet. Consulté le 13 novembre 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/13u3l


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